mardi 24 août 2010

De la rigueur, mais pas d’austérité

Dans le vocabulaire politique et économique du moment, deux mots tendent à être confondus alors qu'ils ne sont en aucun cas synonymes. Ces mots sont ceux de « rigueur » et d' « austérité ». Dans le langage communément employé par nombre de journalistes, ils désignent la politique économique que la droite européenne, à la recherche d'une harmonie avec les marchés financiers, tente d'imposer progressivement dans les Etats membres de l'Union européenne. Cette politique, déjà mise en oeuvre par le nouveau gouvernement britannique qui, pour rappel, est de droite conservatrice, se caractérise par des coupes sombres dans les dépenses des services publics et par une obsession compulsive pour le contrôle de l'inflation. Or, les termes de rigueur et d'austérité ne doivent pas être confondus. La notion de rigueur renvoie à une gestion responsable des finances publiques, consciente de la valeur de chaque euro et soucieuse de transformer l'impôt acquitté par le citoyen en un investissement durable pour la communauté. Autrement dit, un parti de gauche peut parfaitement se réclamer de ce principe pour définir ses orientations, particulièrement lorsque un contexte difficile interdit toute dépense hasardeuse. Par contre, la notion d'austérité renvoie à une toute autre philosophie. Elle exprime en fait la vieille idée, typiquement chrétienne, du "pari de Pascal", formulé au XVIIe siècle, selon laquelle une vie de privations et de renoncements garantirait l'accès à un paradis. Transposée dans le domaine de l'économie politique après un détour par le champ lexical des régimes alimentaires, elle prétend que la consommation de pain sec et d'eau garantit le retour à la santé. Or, un tel remède peut également tuer le patient.

En Belgique, le choix d'une gestion responsable et rigoureuse des finances publiques a été incarné, au cours des années 1990, par le gouvernement Dehaene-Di Rupo. Grâce à la mise en oeuvre de ce qui fut appelé alors un "Plan global", le volume de la dette publique descendit en-deçà de la barre des 100%. Les contraintes du redressement des finances nationales, dont la gravité de l'état menaçait la participation belge à l'Union monétaire européenne, ne permirent guère de nouveaux investissements publics mais la qualité des prestations sociales ne fut pas mise en question. En outre, les socialistes remportèrent des succès dans la poursuite des objectifs d'une amélioration de la qualité de vie des citoyens et de l'émancipation juridique des individus : les régimes actuel de réduction du temps de travail sont, notamment, un héritage de cette période. Enfin, cette politique de gestion rigoureuse des finances publiques permit à l'Etat belge, lors de l'éclatement de la bulle spéculative mondiale en 2008, de contribuer, à l'instar de puissances telles que l’Angleterre ou l’Allemagne, au sauvetage du système bancaire privé et, de la sorte, protéger l'épargne des ménages ainsi que de nombreux emplois. En Wallonie, le Plan Marshall représente une autre illustration du choix d'une politique « rigoureuse » et de la compatibilité de celle-ci avec la préservation d'une générosité sociale.

Une démonstration de l'inutilité économique et de la dangerosité sociale de l'austérité est par contre apporté par l'exemple récent de l'Irlande. Dans ce pays dont le « miracle » du « décollage » fut célébré il y a une quinzaine d'années, le gouvernement a choisi de répondre à la crise ouverte en 2008 en anticipant les mesures qui sont aujourd'hui préconisées par les néo-libéraux européens, soit une augmentation de la taxation et une réduction des dépenses publiques, incluant une diminution des salaires des fonctionnaires au premier rang desquels les personnels enseignant et soignant. Selon une récente analyse publiée par le New York Times, l'effet de cette politique ne s'est pas fait attendre : l'économie a plongé de 7%, la récession s'est installée et le chômage comme le déficit budgétaire ont augmenté. Les réformes, à la poursuite du mirage d'une relance massive par la stimulation des exportations, ont vraisemblablement enclenché une spirale du déclin. Par ailleurs, malgré ce choix de se comporter en bon élève de la classe néo-libérale, l'Irlande n'a pas été récompensée le moins du monde par les marchés financiers qui ne lui octroient pas des conditions d'emprunt sensiblement plus favorables que celles imposées aux Etats jugés laxistes. Ingrats les marchés financiers ? Non, logiques avec eux-mêmes : une économie appauvrie est traitée comme un mauvais débiteur, quels que soient ses choix politiques. Malgré cet éclairant précédent, l’Allemagne et l'Angleterre viennent d'emboîter le pas à l'Irlande.

La Belgique a-t-elle pour autant les moyens d'échapper à une cure d'austérité de type irlandais ? Pourra-t-on à nouveau, grâce à une présence des socialistes au gouvernement fédéral, rééditer l'expérience des années 1990 de la pratique d'une politique rigoureuse et éviter à nouveau un bain de sang social ? Notre pays souffre certainement de deux handicaps. Le premier est celui du volume de la dette actuelle, creusée par l'effort consenti par la collectivité dans le cadre du sauvetage des banques. Il expose le pays au risque d'une auto-alimentation de la dette, c'est-à-dire de devoir emprunter pour payer les intérêts et non plus pour rembourser le capital. Le second est celui de sa petite taille qui l'expose, un peu plus que d'autres, à la contrainte internationale représentée par les marchés financiers et les organisations intergouvernementales telles que l'UE ou le Fonds Monétaire International. Ces handicaps sont importants mais ne sont pas neufs : les socialistes les ont déjà surmontés dans les années 1990. Par conséquent, il est légitime de rester optimistes. Tout d'abord, le dialogue actuel du PS avec le nationalisme flamand protège la Belgique d'un éclatement qui l'affaiblirait dans les circonstances économiques actuelles. Ensuite, les potentialités de l'imagination politique de la gauche ne doivent jamais être sous-estimées. Dans les années 1990, Elio Di Rupo pilota l'opération de « consolidation stratégique » de Belgacom. Le mot fut moqué à droite et à l'extrême-gauche qui y virent le paravent d'une politique de privatisation sur le mode anglo-saxon. Il n'en était rien : cette opération préserva en fait, à travers le sauvetage du vieil opérateur public qu'était la RTT, les usagers, et désormais clients, de la téléphonie de la loi de la jungle pure et simple. Quinze ans après, c'est maintenant tout le pays qui a besoin d'une « consolidation stratégique » et le président du PS se profile comme Premier Ministre.