mardi 27 octobre 2009

L'économie d'un voile ?

Au mois de juin 2009, la rentrée parlementaire des institutions régionales a été marquée par l’émergence d’un débat sur les signes extérieurs de conviction philosophique et religieuse. Ce débat a été suscité par la tenue vestimentaire de la députée Mahinur Özdemir, lors de sa prestation de serment au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. Il a été prolongé par la publicité donnée à des propositions émanant des services du SPF Justice, relatives au port du voile par les fonctionnaires. La rentrée scolaire n’a pas été épargnée non plus par ce début de polémique, surtout au nord du pays, à Anvers en particulier. Cette controverse naissante a-t-elle sa place à l’intérieur d’une démocratie belge dont la neutralité de l’Etat et le pluralisme des convictions individuelles sont garantis par l’édifice juridique national ? Sans doute, car il est effectivement de la mission des pouvoirs politiques d’assurer la permanence de l’adéquation des dispositifs légaux aux demandes sociales. Sans doute aussi dans la mesure où, si une question s’impose dans l’espace public, elle doit être prise en charge, à terme, par les représentants élus de la nation.

Ce débat sur le port du voile était-il pour autant urgent ? Certainement pas. D'une part, la protection des droits des femmes ne se réduit pas à cette question, le machisme restant un trait culturel partagé par les sociétés européennes et musulmanes même si le droit a heureusement évolué dans la direction de la reconnaissance des principes d'égalité et de parité. D'autre part, la réflexion sur l'organisation des relations au sein de sociétés modernes multiculturelles, dans lesquelles les religions sont à nouveau plurielles, est engagée au sein des universités, des sphères de la laïcité et des Eglises elle-mêmes. Plusieurs communes du pays, dans lesquelles des socialistes sont aux commandes comme à Molenbeek, sont également les laboratoires d'une telle réorganisation des modalités du « vivre ensemble ». Il serait sage d'en attendre sereinement les conclusions avant de se référer aux modèles, vraisemblablement dépassés, de l'intégration républicaine française ou de la coexistence, relativement pacifique mais accompagnée d'une quasi-ignorance réciproque, des communauté culturelles au sein de pays anglo-saxons. Par ailleurs, en Belgique, le caractère séculier des principales identités politiques affirmées lors des élections de juin prouve que notre espace public est bien plus laïc que ne l’ont évalué les pourfendeurs du voile de Mahinur Özdemir. En Belgique, la "menace identitaire" est représentée par le nationalisme flamand, pas par la population musulmane. L'idéal aurait été de laisser s'accomplir les processus naturels d’une démocratie délibérative et d'éviter la pollution de celle-ci par des propos dignes des cafés du commerce sur le péril islamique et qui appartenaient à l'arsenal idéologique de la présidence Bush.

L’urgence est en effet ailleurs. Il y a près de cent ans, la gauche du mouvement socialiste devait déjà rappeler aux progressistes de l’époque la centralité des enjeux économiques et sociaux et le caractère subsidiaire du conflit philosophique. Cette invite retrouve toute son actualité au sein d’une société européenne dans laquelle est fragilisé l’équilibre entre capital et travail, déjà atteint par la vague néo-libérale des années 1980. Le débat budgétaire fédéral a montré que le consensus, réalisé en 1945, sur la nécessité d'une protection sociale égale pour tous les citoyens n'existait plus et que la droite, sans le contrepoids du PS, était disposée à la sacrifier aux intérêts à court terme du capitalisme financier. La FEB et les dirigeants de multinationales des secteurs bancaires et énergétiques l’ont encore démontré dernièrement.

Le PS peut-il pour autant faire l'économie d'un débat sur le voile ? La réponse est malheureusement non car en Belgique, la droite suit l'exemple d'autres pays européens : non contente d'importer la doctrine économique néolibérale anglosaxonne, elle tente à présent de masquer sa défense des intérêts de privilégiés, en mobilisant l’opinion sur les risques identitaires et culturels que représenterait par l’immigration, légale et clandestine La dureté d’une partie de la droite néerlandophone sur le dossier des sans-papiers est un indice de cette évolution dans notre pays. Côté francophone, si une partie des libéraux rêve toujours de constituer un "parti démocrate" sur le modèle américain afin de capter les voix du centre-gauche, une autre faction est tentée de tester l'efficacité d'un discours démagogique simpliste dont les ressorts sont la critique des pouvoirs publics, la contestation de la fiscalité, le registre sécuritaire et enfin, à travers la thématique du voile, la xénophobie. Le débat suscité par le vote décret Mixité sociale du Ministre Christian Dupont a permis à des élus de droite de tester l'efficacité de cette rhétorique, avérée à Bruxelles.

Un enjeu pour les socialistes est donc devenu de présenter à nos concitoyens les termes d'une approche de la problématique du voile qui soient conformes à une tradition laïque, humaniste et progressiste. Faute de quoi, la droite aura trouvé un cheval de bataille et une tribune.

Réglementer le port du voile dans les écoles et les administrations au nom de la défense du droit des femmes et de la neutralité de l'Etat constitue une option défendable. Elle a parfois déjà été choisie, en fonction de nécessités identifiées par les acteurs locaux, par des pouvoirs organisateurs de l'enseignement et, notamment, par la province du Hainaut.

Toutefois, réglementer et interdire ne peuvent résumer la solution. Fondamentalement, l'enjeu pour la laïcité est de favoriser la participation à nos institutions d'une communauté et d'éviter que les membres de celle-ci n'utilisent l'alternative, autorisée par la constitution, de s'en exclure volontairement en fondant de nouvelles écoles confessionnelles. Une voie pour éviter ce travers pourrait être de suivre la proposition, notamment défendue par Paul Magnette dans son livre « Le bel avenir du socialisme", de réformer les cours actuels de morale et de religion en leur donnant le contenu d'un cours de religions comparées et d'éthique ». Ce serait le premier pas d'un travail de longue haleine : ce doit être le combat des socialistes contre les démagogues.

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